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Habiter la ville légère - LIN / FINN GEIPEL + GIULIA ANDIAccepter la nature nouvelle des territoires urbanisés, c’est se donner les moyens de penser la métropole d’aujourd’hui et mieux encore celle de demain. Une métropole durable et solidaire, où la périphérie aurait toute sa place. Habiter le Grand Paris ?Paris n’est plus une ville, cette matrice de la ville, qui est encore bien ancrée dans les consciences, déborde, se déforme, craque, se perd presque partout sur le grand territoire parisien. La métropole que nous voyons est discontinue, parfois enclavée, souvent disjointe ; les relations qui s’y établissent sont désormais plus topologiques que topographiques. Elle offre pourtant la possibilité au monde entier d’y trouver une place, de s’insérer dans des réseaux de proximité et de domesticité, certes plus ou moins étendus et plus ou moins dotés. SubstratsAccepter définitivement la nature nouvelle des territoires urbanisés, c’est se donner les moyens de penser la métropole d’aujourd’hui et mieux encore celle de demain. Une métropole durable et solidaire, où la périphérie aurait toute sa place. Habiter le Grand Paris signifie penser la transformation de l’ensemble de ses substrats. Dans la métropole, les situations rencontrées sont hétérogènes : fragments de ville constituée, grands ensembles, nappes pavillonnaires, zones d’activités, plateformes logistiques… Elles ont leurs caractéristiques et leurs qualités propres, loin, souvent, des représentations traditionnelles de l’« urbain ». Or la représentation de l’« urbain » ne peut pas être transposée de la ville vers la métropole, elle doit être réinventée. UrbanismeUn nouvel urbanisme est nécessaire pour mener à bien la transition vers une métropole plus durable, plus économe, plus écologique, plus accessible. Plus dense aussi là où il le faut, puisque c’est l’enjeu immédiat, et que l’accès à un logement décent apparaît de plus en plus contraint pour une part toujours plus grande de la population de l’agglomération parisienne. Avec l’initiative du Grand Paris, des objectifs de construction de logements très ambitieux ont certes été fixés, mais les outils traditionnels de la ville planifiée semblent produire des effets de plus en plus limités, et la structure économique de la production de logements paraît figée dans une forme d’inertie. La transformation du Grand Paris passe dès lors par la transformation de l’existant : l’essentiel de la métropole parisienne de demain est déjà là, la métropole peut se reconstruire sur elle-même. Un nouveau modèle peut émerger, capable d’articuler la double condition à l’oeuvre dans l’agglomération parisienne : ville dense / ville légère. Ville dense / ville légèreDans la métropole parisienne, ville dense et ville légère sont indissociables. Elles se complètent et participent de manière équivalente au fonctionnement métropolitain. Leur intensification réciproque s’opère à partir de leurs qualités propres. Cela exige de développer de nouveaux systèmes de mobilité graduée : rapide et efficace entre les pôles denses de l’agglomération, se déclinant jusqu’à l’échelle de la micromobilité dans les tissus diffus, afin que soient irrigués l’ensemble des territoires de la métropole. Ville denseLa ville dense est l’objet de beaucoup d’attentions. Elle est la ville de la concentration des activités et des populations. Ce sont les lieux hautement actifs et productifs de la métropole, constituant aussi des points d’ancrage, compacts, stables et découpés dans le paysage. On y trouve bien entendu Paris, lieu historique de la métropole, ayant joué le rôle d’attracteur pour le proche comme pour le lointain. Mais d’autres lieux denses et stabilisés se sont constitués et émergent dans l’agglomération : les plateformes de mobilité métropolitaines ; les grands pôles économiques où se concentrent activités, services et emplois ; les campus universitaires et de santé. La ville dense, c’est aussi une nature présente, ce sont donc les polarités vertes, les grands parcs et forêts régionales, les bases de loisirs métropolitaines. Tous ces lieux sont les repères durables, mais toujours en tension, de la métropole. Ils disposent souvent d’un haut niveau de service, de connectivité, de diversité ou de biodiversité. La transformation de la ville dense tend à les renforcer, à augmenter la mixité des usages, des rythmes et des populations ; à conforter les contours, à densifier les limites de ces isolats hautement qualifiés, en assurant néanmoins leur ouverture et leur plus grande perméabilité. D’autres pôles peuvent également émerger : certaines centralités préexistantes (dont les villes nouvelles font partie) ou les territoires autour des noeuds de mobilité ont la capacité de devenir des polarités décentrées et multifonctionnelles dans la métropole. Ville légèreLes lieux de la ville dense émergent d’une part souple, la ville légère. Avec sa faible densité, sa flexibilité, son aspect paysager simple et non protégé, elle offre un vide relatif qui apparaît comme une respiration dans la métropole. La ville légère est un mélange qui ne se mélange pas, un tissu souvent monofonctionnel tantôt d’habitat (clos, individuel et espacé, ou collectif, dense et ouvert), tantôt de zones industrielles plus ou moins programmées, d’administrations et d’équipements résiduels, d’espaces verts aménagés ou à l’abandon, de terrains en attente. Ce sont souvent des sols inutilisés ou sous-utilisés qui perdurent dans leurs situations provisoires. C’est un tissu dispersé et peu défini mais aussi une zone de perméabilité naturelle pour la métropole, dont elle constitue la plus grande part désormais. Elle n’est ni la « bonne » ni la « mauvaise » banlieue, elle n’est à vrai dire pas la « banlieue » du tout, car elle est plus un tissu d’interstices très étendu qu’une périphérie éloignée. Le potentiel de légèreté, cette capacité à reconfigurer ou à faire perdurer les flous, détermine une part importante de son évolution. La ville légère est à la fois une réserve et une dynamique. Son haut degré de flexibilité lui offre une forte capacité de transformation. Parmi les substrats de la métropole parisienne, la ville légère est à la fois la condition et la substance qui marque le passage de la ville à la métropole ; elle cristallise les enjeux et les potentialités du Grand Paris de demain. La part souple des métropolesEn établissant un parallèle entre les situations périphériques de l’agglomération parisienne et d’autres territoires, en Europe et dans le monde, il est possible de postuler qu’elles sont l’expression d’une condition souple et fondamentale de la métropole, que l’on retrouve ailleurs. Partout, les territoires urbanisés évoluent, rapidement et dans toutes les directions, les situations dites « périphériques » semblent devenues majoritaires. On s’aperçoit alors que les transformations les plus radicales y sont souvent les plus silencieuses et les plus spontanées (les condominiums de São Paulo) ou qu’elles sont liées à des bouleversements ou à des désordres particulièrement rapides (destructions à Berlin). Elles se font souvent à côté des stratégies des politiques publiques lorsqu’elles existent (les urban villages de Shenzhen) ou alors elles sont basées sur des règles éloignées de la planification urbaine (le régime de succession à Tokyo). Elles naissent de la rencontre d’une potentialité ou d’une contrainte réglementaire particulière (dérégulation postcommuniste à Belgrade), d’une envie d’habiter à un endroit et /ou d’une certaine façon (héliotropisme pour les retraités et american dream des Latinos de Phoenix), d’un outil productif spécifique (autoconstruction en matériaux locaux à Bamako). Bien entendu, on trouve entre ces situations des contextes fondamentalement différents, des spécificités essentielles. Mais il existe aussi une série d’échos entre ces territoires urbanisés, pour la plupart dans la seconde moitié du XXe siècle, qui partagent une même forme de malléabilité, de réversibilité, de flexibilité. Les situations périphériques de l’agglomération parisienne, dans leur indéfinition, se rapprochent de ces territoires urbanisés aux mécanismes de transformation totalement distincts de ceux de la ville dense européenne. De nouvelles représentations émergent, des processus de transformation se font jour. Territoire laboratoireEt si la ville légère devenait un espace où les cartes de l’aménagement sont rebattues, un lieu où l’on s’autorise à penser différemment, où chacun participe à la transformation du territoire ? La ville légère peut devenir un territoire laboratoire, par un aller-retour entre la définition de moyens d’action innovants et la stimulation des initiatives locales et des énergies en présence. Un enrichissement mutuel crée les conditions d’une transformation spontanée. ComposantesDans le territoire laboratoire, toutes les composantes de la ville légère sont matières à projet et à stimulation. Les pratiques de déplacement se transforment pour renforcer l’irrigation et l’accessibilité de tous les territoires, même les plus diffus, avec la micromobilité. La transformation de la programmation se joue sur l’introduction de nouveaux équipements et services de proximité en réseau capables de faire émerger des microcentralités, ainsi que sur la diversification typologique des tissus monofonctionnels. La transformation des surfaces non bâties, qui représentent 70 % de la ville légère – elles représentent 30 % de la ville dense –, passe par le changement de la qualité des sols (rues douces, parkings perméables, renaturation) et une nouvelle programmation (espaces partagés, usages temporaires, programmes ponctuels). La transformation des espaces de nature, très présents mais peu visibles, se met en oeuvre en intégrant la dimension productive ; des machines paysagères se déploient et renforcent le territoire : production locale d’énergie, agriculture urbaine, gestion de l’eau. Enfin, la structure bâtie se densifie ponctuellement par l’introduction de typologies mixtes et flexibles qui complètent et augmentent le potentiel intrinsèque de chaque tissu résidentiel, tandis que le bâti existant fait l’objet de reconfigurations ambitieuses. Transformation spontanéeDans le territoire laboratoire, un renversement du sens de la décision s’opère ; à la planification top-down et experte se substitue une fabrique locale et concertée qui valorise le bottom-up en faisant remonter les actions et projets innovants dans le Grand Paris. Les initiatives issues des territoires sont encouragées, relayées et promues ; certaines portent une valeur exemplaire ou pionnière qui peut déclencher, ici ou là-bas, d’autres projets et d’autres initiatives. La mise en réseau de ces projets, même les plus modestes, est donc fondamentale pour que partout s’enclenche une dynamique vertueuse. Les projets sont suivis, commentés et scrutés ; les élus se déplacent et coopèrent, la population s’invite au débat, des habitants se regroupent pour agir, l’ingénierie urbaine change de registre et développe de nouveaux prototypes dans la distribution, le transport, les services urbains… La ville légère s’est déliée, elle a retrouvé une capacité à se transformer rapidement, et donc à mettre en chantier des opérations dispersées partout sur le territoire déjà urbanisé de la métropole. Les promoteurs se recentrent pour une part sur des opérations plus petites, les VEFA (ventes en état futur d’achèvement) sont élaborées en étroite collaboration avec les futurs habitants. L’autopromotion explose et pousse le secteur artisanal à une meilleure formation pour répondre à des constructions intermédiaires plus complexes et plus exigeantes, notamment du point de vue climatique. Les constructeurs se dépassent pour réinventer des procédés industriels plus écologiques et adaptés aux moyennes dimensions (construction bois et métallique, chantier sec). La rénovation énergétique met à profit des solutions climatiques innovantes et offre de nouvelles poches de croissance pour les industriels et les artisans. Le remplacement du bâti le plus vétuste dynamise le secteur du recyclage des matériaux de construction, eux-mêmes réinjectés dans une construction très sociale et d’urgence désormais pilotée par la métropole. Les bailleurs sociaux se regroupent pour monter des projets pilotes et des prototypes d’amélioration de l’habitat et de nouvelles typologies pour les grands ensembles. Les documents d’urbanisme suivent le mouvement et ouvrent le champ des possibles, les secteurs de programmation sont revus, les coefficients d’occupation et d’emprise au sol sont jugés obsolètes pour réguler les densités du pavillonnaire, les mairies rivalisent d’inventivité pour valoriser, même avec presque rien, le foncier émietté avec lequel elles doivent composer. On l’a compris, la transformation durable de la ville légère ne se limite pas uniquement à la construction de nouveaux logements. C’est une stratégie qui engage une requalification de l’ensemble des composantes du territoire : environnement, mobilité, programmes… En stimulant l’envie d’habiter et en renforçant les aménités présentes et potentielles, la ville légère devient un territoire de destination, une situation pleinement désirée de la métropole – à côté du centre. La transformation de la ville légère est spontanée : elle redonne l’envie d’habiter, plutôt qu’elle n’impose une obligation d’y construire. Lin, Finn Geipel + Giulia Andi , Membre du Conseil scientifique de l’Atelier International du Grand Paris
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