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Les Rendez-vous de la mégapole - SEURA ARCHITECTES / DAVID MANGIN
UNE GRANDE OUBLIÉE, LA LOGISTIQUE : TOUJOURS PLUS LOIN, TOUJOURS PLUS GRAND, TOUJOURS PLUS VITELaetitia Dablanc, directrice de recherche à l’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux (Ifsttar), rappelle que Paris est une ville mondiale dont le développement de l’économie génère un important flux de marchandises. La logistique, grande oubliée des politiques publiques (ça marcherait tout seul ! ce qui n’est pas faux), est néanmoins l’une des fonctions cardinales d’une mégapole. En Île-de-France, cette fonction est marquée par la prépondérance du fret routier, liée à la forte intégration de la région capitale aux réseaux autoroutiers européens. C’est une véritable gateway pour les 80 000 poids lourds qui transitent quotidiennement par les dix-sept péages autoroutiers. L’activité des entreprises et la vie des ménages nécessitent plus d’un million de livraisons par jour. Globalement, le service est assuré par une diversité d’acteurs selon la nature du fret (alimentaire, messageries…). Ceux-ci sont aussi bien des grands groupes logistiques que de petits opérateurs, des artisans transporteurs (85 % des entreprises logistiques ont moins de cinq salariés). Mais la fonction logistique ne se limite pas à la question de la circulation des poids lourds, selon la nature des marchandises transportées et des lieux de livraison. Une multitude d’acteurs entrent en jeu et, dans la zone dense, l’essentiel du transport de marchandises est assuré par des petits camions ou des camionnettes, parfois anciens et assez polluants. À l’autre bout de la chaîne, le développement du commerce en ligne (Amazon et autres) et la gestion des stocks en flux tendu conduisent à construire toujours plus d’immobilier logistique, toujours plus loin de la zone dense. Ainsi, la distance moyenne parcourue par une marchandise dans la métropole augmente régulièrement. La logistique s’étale alors selon les opportunités. Certaines communes y voient la promesse de nouveaux emplois, d’autres considèrent cette fonction comme une nuisance. Ce développement s’effectue sans aucune régulation, car les petites communes, très nombreuses, n’ont pas les moyens humains pour faire face à de grands groupes de logistique ; de plus, cette fonction est peu prise en compte par le schéma directeur de la Région Île-de-France (Sdrif). Cependant, les acteurs publics s’emparent peu à peu de cette question, notamment à travers la valorisation d’initiatives liées à une filière innovante et en développement, la « logistique urbaine ». Celle-ci utilise des moyens de transport non polluants : logistique fluviale, véhicules électriques, tricycles… et des bases de logistique urbaine, principalement pour livrer la zone dense ; elle ne représente aujourd’hui que 1 % du transport de marchandises. Au final, même la logistique francilienne est efficace, le transport de marchandises reste aujourd’hui une question urbaine majeure, tant du point de vue des émissions de CO2 que de la gestion du réseau de voirie, partagé avec le transport des personnes. GRAND HUIT, GRAND PARIS EXPRESS, NOUVEAU GRAND PARIS… ENTRE AVENIR ET DEVENIRL’évocation du Grand Paris semble aujourd’hui contenue dans le projet du développement du réseau ferré, souligne Yves Crozet, du Laboratoire d’économie des transports à Lyon. En effet, les projets du Grand Paris Express (GPE) puis du Nouveau Grand Paris (NGP) ont polarisé les débats : dans la consultation des architectes, en 2009, dans les discussions de Christian Blanc avec les collectivités locales, et enfin dans les arbitrages du gouvernement Ayrault, si bien qu’à ce jour la représentation du Grand Paris semble coïncider avec celle du supermétro. Yves Crozet relativise les qualités et les vertus de ce projet de transport à la lumière des conséquences supposées et attendues du futur métro, qui ont récemment évolué. Il relève des impensés qui pourraient infléchir le projet actuel, les effets d’un système de transport restant « prophétiques ». Ainsi, l’accroissement de la vitesse ne réduit pas mécaniquement le temps de transport, car voyager plus vite signifie souvent aller plus loin. La corrélation entre le développement de l’accessibilité et celui de la productivité est à examiner. Elle oublie aujourd’hui la relation à la mégapole, notamment sa richesse capitalistique et la qualification de ses habitants. Le mythe de l’ubiquité, c’est-à-dire la capacité du réseau à unifier le marché du travail de la mégapole, doit être tempéré. Et puis le rôle potentiel des tramways – tant dans sa conjugaison avec le rail que dans sa capacité à être un outil de requalification des espaces publics – a été oublié. Enfin, la question du financement du transport par ses usagers a été passée sous silence et la réflexion sur le réseau routier est bien timide. Du fait même d’un phasage financier et politique, de l’évolution des techniques ou des opportunités qui se seront développées sans attendre les futures stations, il faut penser dès maintenant les évolutions du projet dans le temps. LE MECCANO DES STATIONS PARISIENNES : QUELQUES LEÇONS POUR LE GRAND PARIS![]() La machine urbaine de Châtelet les Halles : espaces de transport, lieu souterrain commercial et tissu urbain de surface Pour la construction du nouveau réseau du métro souterrain, la Société du Grand Paris a des moyens limités aux tunnels et aux systèmes d’accès. Les interconnexions doivent être financées par ailleurs et, le plus souvent, dans un futur incertain. La plupart de ces gares seront dans un premier temps de simples stations. Cependant, l’étude de l’histoire de certaines (inter)connexions du métro et du RER parisiens nous montre que cette situation initiale peut évoluer. Des réseaux d’espaces « publics » souterrains connectés à des fonctions métropolitaines peuvent en effet être constitués bien après la création de la station initiale. Marion Girodo, architecte à la Seura, a étudié, dans le cadre du séminaire Paris-Babel de l’École d’architecture de la ville et des territoires à Marne-la-Vallée, l’extension progressive du réseau souterrain du quartier Haussmann-Saint-Lazare. ![]() La machine urbaine Saint-Lazar-Haussmann : souterrain et aérien forment un système interconnecté dans lequel les parcours sont continus Dans celui-ci, de nombreuses connexions entre stations, mais aussi avec d’autres lieux et notamment les grands magasins, se sont développées en l’espace d’un siècle de manière impressionnante, créant un morceau de ville sous la ville. Des (inter)connexions parisiennes et d’autres stations reliées à des ensembles urbains constituent aujourd’hui de grandes machines urbaines. Leur processus de constitution, progressif et à la manière d’un Meccano, a aussi creusé le système des gares de Montparnasse, des Halles, du Louvre et, dans une moindre mesure, du BHV. Ces dispositifs peuvent varier selon les situations, comme le montrent l’exemple bien connu du Rockefeller Center à Manhattan et ceux de Montréal, de Tokyo ou encore de Hong Kong. L’étude de ce processus est une manière de relativiser la rigidité du système aujourd’hui en projet, de reconsidérer les leviers de sa plasticité et de ses opportunités, qui ne se limitent pas aux surfaces du foncier. Là aussi, penser l’espace dans la durée est essentiel pour l’avenir, et en particulier les capacités de connexion et de reconnexion du futur réseau, comme autant de palétuviers dans la mégapole. L’ÉVÉNEMENT DURABLE : LES GRANDS RENDEZ-VOUS DE L’ESPACE PUBLICLe projet du Grand Paris Express (GPE) a cela de particulier qu’il est le plan d’un réseau peu visible. Peut-il devenir le support d’une nouvelle image mentale de la mégapole ? Son tracé fait émerger de nouvelles adresses qui, pour l’instant, n’en sont pas. Nous avons arpenté, accompagné de François Delarozière, directeur de la compagnie La Machine, deux sites qui accueilleront des gares du GPE – le site de Saint-Denis-Pleyel et celui de Villejuif- Institut-Gustave-Roussy – et nous l’avons interrogé sur les possibilités de préfigurer le chantier du métro. Il nous a proposé de conjuguer moyens de transport et émotions. Et il nous a rapporté, de son expérience à Nantes, à Anvers, à Montpellier ou à Yokohama, les éléments clés pour comprendre comment accompagner durablement des projets urbains et territoriaux en installant des architectures vivantes dans des espaces publics qui peuvent devenir festifs. LES TIERS LIEUXAprès celle de tiers paysage, avancée par Gilles Clément et Patrick Bouchain, la notion de tiers lieux a émergé ces dernières années à partir de plusieurs demandes.
Une « hétérotopie » pour le Grand Paris ?Un récent sondage de l’Institut CSA révèle que 54 % des Franciliens souhaitent quitter la région. La congestion du système de transport et les difficiles trajets quotidiens domiciletravail sont évoqués comme principale cause de cette désaffection. Ces difficultés sont liées à l’hyperconcentration des lieux de travail et au fait que la congestion exige toujours plus d’adaptations du système de transport. Si bien qu’en certains lieux l’élasticité de la mobilité physique semble avoir atteint ses limites. Bruno Marzloff, directeur du Groupe Chronos, soutient que l’évolution de l’organisation du travail et des modes de vie peut être un levier pour une nouvelle organisation territoriale du travail, articulée sur un réseau de tiers lieux accueillant des travailleurs nomades. Selon une étude menée par le Groupe Chronos, 42 % des travailleurs considèrent en effet qu’une partie de leur travail est mobile. Cette itinérance du travailleur s’articule évidemment avec le développement des outils numériques et elle définit de nouvelles sociabilités. On voit alors apparaître dans le centre de la mégapole des espaces de coworking, surtout utilisés par des travailleurs de la « classe créative » (designers, programmeurs, développeurs, auteurs, professeurs…), qui investissent cette plate-forme de travail pour une heure, un jour ou un mois. Ces tiers lieux sont-ils des lieux pionniers, amorce d’une nouvelle relation du travail et de la ville ? L’idée semble faire son chemin, et des villes telles que Copenhague et Amsterdam mènent des études et des projets pilotes pour le travail à distance de leurs agents. Ces tiers lieux peuvent être le point de départ d’une nouvelle génération de services urbains, dont le cocktail pourrait accompagner les gares du GPE, les pôles du Syndicat des transports d’Île-de-France (Stif) ou bien devenir le point d’accès d’un certain nombre de services métropolitains. Pour des équipements mutualisésLes évolutions de la gestion du temps de travail vont de pair avec celles des modes de vie et des rendez-vous quotidiens entre loisirs, éducation et accès aux services urbains. Alphaville s’interroge sur les enjeux de la programmation et du financement des équipements publics dans une perspective d’amélioration de la vie quotidienne des habitants de la mégapole. À la lumière de son expérience, l’équipe d’Alphaville fait le constat que la contraction des finances publiques conduit les collectivités, d’une part, à privilégier les équipements obligatoires, d’autre part, à être tentées par la construction d’équipements rayonnants très spécifiques au détriment d’une offre publique qui ne répond plus à la demande, qu’il s’agisse de la nature des équipements ou de leur mode de gestion. En effet, les évolutions des équipements existants et l’étude de leurs usages montrent un glissement des usages des équipements, parfois conçus comme des bâtiments spécialisés. La proposition consiste à concevoir un type nouveau d’équipement comme un tiers lieu. Cette « station métropolitaine des sens » pourrait accueillir une diversité de fonctions et de services publics, privés, communs, et s’adapter en fonction de l’évolution des usages. Cette proposition s’appuie sur des équipements existants, au départ spécifiques, qui ont évolué, comme la BPI du Centre Pompidou, à Paris, ou la Seattle Public Library-Central Library, qui sont devenues des lieux de réunion et d’accueil pour des publics qui n’étaient pas attendus. L’expérience du Gymnase vertical à Caracas s’appuie sur un équipement sportif densifié pour équiper des quartiers d’habitat informel, les barrios. Ces tiers lieux hybrides, destinés à accueillir des services publics, des services privés et des pratiques collectives, pourraient participer à la production du commun, interface entre public et privé, global et local. LES RENDEZ-VOUS DU POLITIQUE : LOGIQUE MÉTROPOLITAINE VS LOGIQUE LOCALELes rendez-vous de la mégapole1. sont aussi – et avant tout, selon certains – les rendez-vous ratés ou réussis des politiques. L’urbaniste Marc Wiel fait un point d’étape sur les quatre thématiques qui sont apparues depuis l’entrée en scène du Grand Paris en 2008 : la stabilisation progressive et encore évolutive d’un plan de transport ; un Sdrif dont les arbitrages entre métropolitain et local dépendront des arbitrages sur les moyens ; des contrats de développement territorial (CDT) ; une loi sur la gouvernance qui remet en cause les intercommunalités. C’est principalement sur ce dernier thème qu’il intervient, rappelant les conditions d’une intercommunalité pertinente : cohérence avec les bassins d’emploi, masse démographique, sentiment d’appartenance… Il interpelle les acteurs de la gouvernance mais aussi les techniciens et les chercheurs (au sens large). « Les débats sur la gouvernance organisés par l’association Paris Métropole ne sont pas rentrés dans le vif de la question de l’insuffisante création de logements et n’ont pas cru utile de concevoir une règle du jeu entre institutions existantes pour y pallier, impliquant une péréquation financière entre elles pour y parvenir. On a parlé de péréquation uniquement dans une optique de garantir un minimum de fonctionnement des équipements de proximité, donc dans un esprit de justice et non de promotion du développement urbain. Ceci explique probablement le peu d’énergie de l’État pour défendre son premier texte de loi (inspiré par Paris Métropole) devant le Sénat qui l’a débouté pour des raisons sans rapport avec cette question. L’État a proposé un second texte beaucoup plus radical et qui lui pour l’essentiel est passé, fondant une nouvelle institution appelée Métropole du Grand Paris, aux compétences très limitées mais concernant au premier chef l’urbanisme opérationnel sur les quatre départements centraux. » Tels sont les prochains rendez-vous, et pas les moindres. Cette étude a été coordonnée par David Mangin, Mathieu-Hô Simonpoli et Marc Wiel ; elle a bénéficié des contributions d’Alphaville, Yves Crozet, Laetitia Dablanc, François Delarozière, Marion Girodo, Bruno Marzloff.1. Cf. David Mangin, Paris / Babel, mégapole européenne, Éditions de la Villette, octobre 2013 SEURA ARCHITECTES / DAVID MANGIN, Membre du Conseil scientifique de l’Atelier International du Grand Paris
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