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Habiter le Grand Paris du lointain - AGENCE FRANCOIS LECLERCQ / ATELIERS LION & ASSOCIÉS / AGENCE MARC MIMRAMRepenser l’habitabilité des territoires à travers l’évolution des réseaux
« Habiter le Grand Paris » : derrière cette formule recouvrant mille réalités, transparaît d’abord une question : « Où ? » Les impératifs de la ville durable produisent leur lot d’injonctions : compacité, densité, proximité… et conduisent à désigner des territoires fautifs, néfastes tant pour la planète que pour la société. Dans le même temps, il semble essentiel de se pencher sur le « quand ? », interrogation phagocytée par l’impression d’avoir réglé l’avenir du Grand Paris grâce à un réseau de transport. Pourtant la métropole parisienne crie à l’urgence dans tous les domaines : gouvernance, mobilité et, surtout, logement. Au-delà des tabous, deux évidences guident notre démarche : le poids indéniable de la ville diffuse dans la constitution du territoire francilien et la part de rêve qu’elle suscite pour de nombreux ménages. Le Nouveau Grand Paris, système de transport issu de la première consultation internationale, offre une réponse aux problématiques de mobilité dans la zone agglomérée de la Région Île-de-France ; quant au reste du territoire, l’ignorance se perpétue, les critiques également… Cessons de tourner le dos à cette part réelle du Grand Paris pour envisager les conditions de son évolution. La ville diffuse dans le Grand Paris : quelles réalités ?Tandis que les normes relatives au développement urbain tentent d’encadrer le développement de l’habitat individuel sous ses formes les plus dispendieuses, ce dernier représente toujours en Île-de-France un quart de la construction de logements, dont la moitié sous forme de lotissements 1. L’habitat individuel représente de surcroît plus de 65 % de l’espace résidentiel régional 2. Le périurbain et les franges de l’agglomération enregistrent la plus forte croissance démographique de la région. Ainsi, les bourgs, villages et hameaux ont accueilli près de 10 % de la croissance démographique francilienne. De manière générale, 82 % des Français affirment vouloir y vivre 3. Pourtant, ces territoires restent marqués par l’ignorance des grands projets d’urbanisme et par l’absence de réelles stratégies allant au-delà des incitations limitatives. Comment le Grand Paris peut-il infléchir cette réalité ? Alors que ce mode d’habiter est plébiscité par un grand nombre de Franciliens, faut-il le bannir à grands coups de prescriptions réglementaires ? La réactivation du lien ville-campagne doit accompagner le changement de regard porté sur le périurbain dans le Grand Paris. Ville et campagne sont à considérer comme le même univers à consommer avec circonspection, tout en refondant le dialogue entre ces deux entités, ce qui implique de substituer à la notion de front urbain un schéma de développement de la zone intermédiaire montrant l’interdépendance entre fonctions urbaines et rurales. Cette logique entre ainsi en résonance avec la demande sociale de nature qu’illustre l’attractivité du périurbain. Une ville coupableL’approche des espaces périurbains, souvent construite sur une critique, voire une dénonciation globale de cet « anti-modèle », ne se donne pas les moyens de penser les enjeux d’une ville pourtant bien réelle. S’y oppose fréquemment la projection de modèles urbains vertueux : la ville compacte comme seule figure de modernité, ou le village et ses sociabilités disparues. Accusé de sous-urbanité, le périurbain est un objet à la fois surinvesti (poids médiatique, décor cinématographique et littéraire) et profondément méconnu dans ses réalités. Ce constat conduit à un mépris des usages, des potentiels et de la diversité de ces espaces. Relégation économique ? Espaces productifs ? Parce qu’urbanité libre, hétérogène, moins normée, le périurbain reste un objet spatial difficile à aborder, fortement structuré par le fait local et moins propice à une pensée systématique. Reconnaître ce système dont les pratiques sont riches, libres, permet de prendre en compte les possibilités d’optimisation, nombreuses, pour peu que l’on s’autorise à le regarder comme un modèle encore en émergence, devant inventer son propre langage. Au-delà des archétypes répandus sur les modes de vie dans la ville diffuse, une analyse plus fine des pratiques sur ces territoires permet de nuancer le portrait de l’habitant du périurbain. Le rapport à la ville est de loin le plus disparate entre les habitants de l’espace périurbain : tandis que certains se sentent citadins et se rendent de manière régulière dans le coeur de l’agglomération, d’autres cherchent à éviter cet espace. Des recherches montrent que, quel que soit le lieu de résidence, les pratiques sociales d’un tiers de la population se déploient sur l’ensemble de l’aire urbaine, un autre tiers montre un attachement fort à l’environnement local, le dernier tiers vit de façon plus repliée sur la sphère du logement4. Loin d’être l’apanage du périurbain, le repli sur soi n’est donc pas lié au territoire de vie. Une analyse sociologique plus précise des profils des habitants du périurbain laisse entendre que l’homogénéité sociale dont on l’affuble est loin d’être une généralité, malgré la médiatisation de quelques expériences de gated communities. Ainsi, à l’inverse des coeurs d’agglomération, le périurbain affiche une diversité sociale importante, se maintenant dans le temps. Il s’agit par exemple de la seule zone dans laquelle le groupe ouvrier n’a pas vu ses effectifs diminuer entre 1982 et 1999, à l’inverse des centres urbains denses, qui concentrent 76 % des cadres5. Le panel des idées reçues relatives à la ville diffuse est large et la liste pourrait encore s’allonger… Néanmoins il nous paraît essentiel de considérer ces espaces comme des territoires du Grand Paris à part entière, qu’il s’agit de traiter, non pas pour leurs prétendus maux, mais pour améliorer le quotidien de leurs habitants et en faire des espaces accueillants à une production de logements renouvelée. La ville et les réseaux : réinvestir les infrastructures et ouvrir le champ de la mobilitéLes territoires de la deuxième couronne se caractérisant par une urbanisation peu dense ponctuée de pôles urbains locaux, il importe de considérer des solutions de mobilité adaptées à la fois aux besoins de déplacements vers le coeur d’agglomération, et à une part croissante s’effectuant de « périphérie à périphérie ». En première couronne, la majeure partie du territoire se trouve à moins de 5 km d’une gare, permettant la mise en place de moyens de rabattement efficaces. En deuxième couronne, le maillage, limité aux grands axes radiaux, ne couvre qu’une faible part du territoire. La dépendance à la voiture en est une conséquence incontournable. La dernière « enquête globale de transport » montre que la grande couronne est la seule zone où la portée des déplacements en voiture continue d’augmenter (+ 4 % depuis 2001, – 24 % à Paris et – 8 % en petite couronne)6. L’implantation d’un transport lourd n’étant pas viable, d’autres solutions de mobilité sont à explorer pour améliorer l’habitabilité du Grand Paris du lointain. Ainsi, une approche multimodale des déplacements vise à permettre aux usagers d’utiliser le mode le plus adapté, pour eux-mêmes et pour la collectivité, ce mode étant différent en fonction du motif de déplacement, de l’offre disponible, du moment, des personnes ou objets déplacés. La généralisation de l’offre en transport en commun n’étant pas envisageable pour les territoires peu denses, et les solutions de rabattement des flux vers un petit nombre d’axes radiaux montrant des limites (congestion, saturation des P+r…), il s’agit de considérer chaque mode comme ayant son domaine de pertinence et ne devant pas s’imposer de manière exclusive. La mise en place d’un réseau de transport capable d’intégrer la palette modale la plus large possible doit accompagner l’édification du réseau du Nouveau Grand Paris. Taxis, covoiturage, transport à la demande, lignes express de bus sur autoroute, voiture sont autant de modes qui doivent trouver leur place dans une logique d’intermodalité accrue. Mettre la technologie numérique au service de la mobilité, en outre, permet de donner une dimension dynamique au covoiturage ou de rendre crédible une offre de taxis collectifs grâce au regroupement d’usagers via des applications smartphones. Ces modes de transport innovants accompagnent un changement social de fond faisant progressivement basculer la voiture de la possession à l’usage. Ces innovations doivent s’accompagner d’une adaptation du réseau routier passant notamment par la reconquête de l’infrastructure routière. Le mot d’ordre : déplacer davantage de monde avec moins de voitures, c’est-à-dire optimiser le réseau. Voies réservées pour les covoitureurs, gestion dynamique des voies de circulation, bus express roulant sur les autoroutes : les solutions ne manquent pas pour organiser plus efficacement les déplacements dans la métropole. Les réseaux sont également à prendre en compte comme des gisements fonciers à exploiter : délaissés d’expropriations, amendement Dupont, foncier des échangeurs… En les considérant avec plus d’attention, il devient possible de reconsidérer leur habitabilité. Par ailleurs, les centres commerciaux doivent faire leur révolution. Leur usage comme nouvelles plateformes de mobilité s’impose à l’heure d’un bouleversement des modes de consommation. Les centres commerciaux ont bâti leur stratégie sur une localisation permettant d’optimiser à la fois leur zone de chalandise, en rayonnant sur des espaces résidentiels étendus, et leur desserte, en se développant le long d’axes routiers majeurs. Aujourd’hui, tandis que leur fréquentation a baissé de 10 %, que l’indice des chiffres d’affaires en volume a chuté de 17,8 %1, il est temps de se saisir des avantages conférés par cette localisation pour les mettre au service de la mobilité. La place grandissante du commerce en ligne et le retour des consommateurs vers les plus petites surfaces conduisent à reconsidérer le rôle de ces géants commerciaux, à profiter de leur situation exceptionnelle et de leurs vastes nappes de parkings, désertes la plupart du temps. Plateformes de covoiturage, services à la personne, gares… Les solutions ne manquent pas pour faire de ces espaces les nouveaux centres névralgiques d’un système de transport multimodal à l’interface entre échelle métropolitaine et échelle locale. Les gares, enfin, doivent évoluer afin de maximiser leurs usages. Ainsi, la gare dans le Grand Paris sera servicielle, connectée, repère, écran, relais… afin de participer à l’intégration de la mobilité dans les pratiques du territoire francilien de demain. Les grandes infrastructures ferroviaires puis routières sont responsables d’une fragmentation du territoire. Supposées connecter les pôles de développement, elles se sont rendues coupables d’effets tunnels pour les espaces d’entre-deux. L’autoroute, la voie ferrée, qui ne les desservent pas, apparaissent davantage comme une barrière physique et un frein au développement des territoires. Retourner l’image et le rôle des grandes infrastructures héritées des Trente Glorieuses sera le point de départ du maillage du Grand Paris de demain. Autre héritage de cette période, les villes nouvelles méritent qu’on les reconsidère, au-delà des froides analyses mettant en avant leurs dysfonctionnements de manière exclusive. Bien desservies, bénéficiant d’un taux d’équipement exceptionnel, elles méritent qu’on aille au bout de la démarche ayant présidé à leur installation. Paris est une fois et demie plus petit que Marne-la-Vallée, mais huit fois plus peuplé. Densifions en priorité ces territoires du Grand Paris qui n’appartiennent pourtant pas à la zone dense de l’agglomération. À la question du « où ? », nous affirmons que le Grand Paris s’habite partout à condition de bien le faire. La transformation des réseaux apparaît ainsi un préalable incontournable et complémentaire à la création du réseau du Nouveau Grand Paris, qui ne manque pas de soulever une interrogation : « Et en attendant ? » Le Grand Paris de l’immédiat passe donc par une série de mesures qui permettraient de faire entrer le processus dans une réalité tangible, à même de changer dès aujourd’hui le cadre de vie des Franciliens et de s’approcher des objectifs fixés, en termes de production de logements notamment. 1 et 2. Source : IAU-IdF AGENCE FRANCOIS LECLERCQ / ATELIERS LION & ASSOCIÉS / AGENCE MARC MIMRAM, Membre du Conseil scientifique de l’Atelier International du Grand Paris
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