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Voir la métropole, du concept au dessin : processus de monstration du Grand Paris - DPA / Dominique Perrault Architecture
CONSIDÉRATIONS MÉTROPOLITAINESIl ne suffit pas de déclarer un état de fait métropolitain pour en être. La métropole constitue une réalité de territoire, décrivant un degré d’évolution et de complexité de la structure organisationnelle collective, un niveau d’abstraction par rapport à l’organisation des formes urbaines telles que celles-ci ont été théorisées jusqu’ici. La région francilienne a atteint le stade de la configuration métropolitaine il y a déjà un moment, sans que cela résulte d’un processus volontaire. La configuration métropolitaine est atteinte lorsque, sur un territoire d’une certaine dimension, se croisent simultanément :
Vague, cette définition illustre le mouvement qui accompagne le passage d’une forme d’organisation urbaine à la condition métropolitaine. Le point d’inflexion, de rupture – bref l’avènement – importe peu, la conscience d’une masse critique constituée suffit à faire métropole, à intégrer la population qui la fréquente et qui y habite dans un système complexe d’échanges physiques et virtuels. Toutefois, la métropole que l’on décrit, celle dont on parle et que nous avons cherché à montrer et à représenter au travers d’une méthode développée un peu plus loin, n’est pas tout à fait la métropole qu’on imagine, celle que l’on fantasme. D’une certaine façon, la métropole n’est pas encore tout à fait métropole. Elle est jeune, il reste du chemin à parcourir pour atteindre l’image que l’on s’en fait, celle de la métropole vertueuse, intégrée, connectée que l’on peut imaginer, que l’on désire, dont on discute les modalités idéales de gouvernance et qui est au centre des politiques et des débats. À la différence des villes dont les éléments structurants – les repères et les saillances – mais aussi les formes d’organisation et la sémantique sont connus, constitués de centres et d’entrées de ville, avec une hiérarchisation de la voirie et des vitesses, de l’homogénéité dans l’aménagement de l’espace public, de l’unité dans le traitement des sols, du mobilier urbain et des essences paysagères, la sémiologie qui conditionne la pratique de la métropole reste à inventer, à composer.
LA MÉTROPOLE ET LE PARADIGME DE LA VILLE-CENTRELe Grand Paris n’est pas le Grand New York, le Grand Berlin ou le Grand Londres. Les déséquilibres entre le centre et la périphérie, les ruptures et l’absence de continuité dans le tissu urbain rendent difficile la conscience d’une participation collective des territoires à un projet de développement concerté. L’écrasante visibilité de Paris sur la région capitale, l’organisation en ceintures successives des grandes infrastructures de transport, la multitude des communes sur le territoire francilien (plus de 1 300), les déséquilibres aussi bien en termes de valeur foncière qu’au niveau de la dotation en patrimoine – historique, culturel et géographique – contribuent à la production d’une imagerie mentale du Grand Paris comme extension de la ville centre. La cartographie disponible renforçant l’idée que, à mesure que l’on s’éloigne de Notre-Dame, la métropole s’éteint. Pour représenter le Grand Paris, il faut casser l’imaginaire de la ville-centre et renforcer la visibilité et l’identité des polarités plurielles du Grand Paris. Si Paris et son organisation radioconcentrique ont joué un rôle moteur dans la constitution du système métropolitain, ce pilier central et ses 2 millions d’habitants ne permettent pas seuls de maintenir dans un état de stabilité l’ensemble de la figure métropolitaine et ses 12 millions d’habitants, ses millions de touristes, ses centaines de milliers d’étudiants, de chômeurs, de divorcés… Les structures radiales fonctionnent à une certaine échelle. Organisés à partir d’un centre plus ou moins étendu, les développements se font de façon concentrique autour d’un coeur qui regroupe les objets précieux, les organes de pouvoir et les chambres décisionnelles. Le centre plus ou moins bien circonscrit, plus ou moins bien protégé suffit à faire graviter les éléments autour de lui. Ce modèle de distribution, rationnel et opérant, fonctionne à une certaine échelle, celle du village et de la ville, en fonction de la force de ce qui est au centre et de la surface de chalandise afférente, grâce à une géométrie plus ou moins réglée au moyen d’un jeu de radiales et de boulevards concentriques. En poursuivant un peu la métaphore structuraliste, on observe que les grandes infrastructures de transport (routières et ferroviaires, en surface ou en sous-sol) mais également les gaines et les tuyaux de toutes sortes opèrent comme des éléments structurels indispensables à la stabilité du territoire. Plus le territoire est étendu, chargé, disparate, plus la structure pour le maintenir est complexe, moins ce qui est au centre a la faculté de soutenir l’ensemble, et plus cela génère des tensions, des efforts et des contractions sur les infrastructures. Aussi imparfaite que soit cette vision très architectonique de l’organisation des territoires, elle permet de décrire un état de fait, quelque chose de l’ordre de la loi physique des territoires : comme si les territoires possédaient une inertie naturelle, comme s’ils pesaient sur le système auquel ils sont rattachés, tant qu’ils ne possèdent pas les attributs pour participer à l’effort général de stabilité. Dans cette perspective, et à l’échelle métropolitaine, le polycentrisme n’est rien d’autre qu’une évidence structurelle. Une vérité systémique. Sans rien présupposer de la morphologie des « nouveaux centres métropolitains », il apparaît que le découpage administratif du territoire en communes ne permet pas la constitution de polarités métropolitaines dont la masse critique viendrait renforcer et stabiliser la figure métropolitaine. ![]() Localisation des « exceptions permanentes » (lieux de concentration des exceptions permanentes et recensement des points d’intérêt métropolitain
LE POINT DE DÉPARTSi révéler et situer ces équipements sur le territoire métropolitain, c’est déjà une façon de représenter la métropole, de montrer l’actualité de sa dotation en équipements, notre équipe a cherché à construire un dispositif pour dessiner les proximités physiques entre les équipements afin de repérer des masses critiques latentes, des proximités non encore exploitées du point de vue des usages, afin de repérer des territoires dotés d’infrastructures, autour desquels gravitent des populations proprement métropolitaines, sur lesquels il est possible de bâtir des situations urbaines aujourd’hui inexistantes, en imaginant des relations possibles entre des populations qui aujourd’hui se croisent mais ne se rencontrent pas. Par la suite, nous avons fait figurer d’autres informations, avec l’idée de superposer sur les zones d’intensité métropolitaine des équipements inscrits, situés, connus et reconnus localement. Nous sommes partis du recensement réalisé par l’Atelier International du Grand Paris, figurant dans la carte des 1 000 lieux du Grand Paris. Il s’agit d’espaces culturels, de grands équipements sportifs et d’espaces naturels, de centres commerciaux, d’espaces d’exposition participant à l’animation, à une certaine échelle, du territoire. Cette opération de superposition de filtres sur le territoire francilien permet de repérer ce qui est proprement métropolitain : la tension entre le global, le commun et le partagé à l’échelle du Grand Paris, et le local, ce qui est propre à tel ou tel environnement urbain. Cette tension entre le propre et le partagé est fondamentale. Elle préfigure à la fois le sentiment d’appartenance à un lieu spécifique, visible et repérable sur le territoire, et le sentiment d’appartenir à une communauté de destins, de participer à un projet de territoire stratégique, d’être acteur d’une métropole en construction. Le propre, c’est la capacité à s’inscrire dans le territoire à l’échelle de la proximité quotidienne, la possibilité de faire l’expérience d’une urbanité construite sur les spécificités physiques d’un déjà-là en mouvement. Le global, le partagé, c’est de faire partout et toujours l’expérience d’un territoire connecté indissociablement imbriqué dans un système complexe d’échanges et d’interactions. C’est dans cette tension que réside le fait métropolitain. Dans cette ambivalence que se joue la condition métropolitaine. À partir de cet inventaire des équipements et de leur implantation sur le territoire, nous avons construit un modèle (en utilisant des algorithmes simples) pour dessiner et repérer les proximités physiques inter-équipements, de sorte qu’il soit possible de visualiser uniquement les distances compatibles au sens de la pratique urbaine contemporaine. LES MÉTA-VILLAGES : POLARITÉS MÉTROPOLITAINESLes constellations, ou « méta-villages1 », repérées constituent des territoires où l’effort de production de logement doit être fourni. Ils constituent des bassins réels de territorialisation de l’offre de logement. Dans ces méta-villages se croisent des habitants « traditionnels », des populations inscrites dans la durée, mais également des populations plus mobiles, présentes en métropole sur des temporalités différentes de celles de l’habiter traditionnel, et contraintes par les équipements2 . Dans le cadre de notre étude, nous nous sommes essentiellement intéressés à l’Hôtel Métropole, comme figure du logement transgressif à l’habitat traditionnel, et avons dressé un inventaire de projets, réalisés ici et là, permettant d’envisager à côté de l’offre traditionnelle de logement (qui doit elle aussi évoluer) un habitat temporaire, mixte, adapté aux situations transitionnelles de l’existence, assurant la flexibilité nécessaire pour apaiser le marché du logement et limiter la tension sur le système de transport en réduisant les déplacements, bref participant à l’urbanité et à l’animation de ces polarités métropolitaines. Les méta-villages constituent des territoires de projet. C’est là que se joue la métropole, sur la capacité de l’ensemble des polarités métropolitaines à échanger et vivre ensemble. La ville telle qu’on se l’imagine avec ses repères et ses places ne doit pas être prise pour paradigme des méta-villages, qui s’organisent autour d’éléments qui n’ont pas les mêmes attributs urbains, dans une économie spatio-temporelle et des relations qui ne sont plus celles sur lesquelles se sont bâties les villes jusqu’alors. 1. Nous avons utilisé le terme de « méta-village » pour désigner des zones d’intensité métropolitaine existantes, rattachées au système métropolitain par de grandes infrastructures de transport (routières et/ou ferroviaires) et marquées par la présence de repères (équipements) à visibilité métropolitaine, jouant un rôle dans le système des besoins des métropolitains. Il s’agit d’unités de territoire qui s’organisent autour de formes urbaines qui ne sont pas nécessairement celles de la ville ou du village, et dont il convient de renforcer l’urbanité et les structures d’accueil (temporaires ou durables). La concentration d’équipements et la densité d’échanges en font une polarité structurante à l’échelle métropolitaine. DPA / Dominique Perrault Architecture, Membre du Conseil scientifique de l’Atelier International du Grand Paris
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