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L’habitabilité des territoires 2 - STUDIO 013-BERNARDO SECCHI ET PAOLA VIGANO
En février 2014, au palais de Tokyo, aura lieu un événement organisé par l’artiste Monte Laster et intitulé « Banlieue is beautiful » : un nouvel effort pour montrer qu’en banlieue il n’y a pas que de la violence et de la criminalité – ce que la rhétorique habituelle souligne, contribuant fortement à la stigmatisation d’une importante partie du Grand Paris. Au mois de novembre 2013, un colloque organisé par l’Atelier International du Grand Paris (AIGP) et le conseil général du Val-d’Oise est dédié au thème de la beauté dans le Grand Paris : « Le Grand Paris sera-t-il beau ? » En effet, la banlieue, à Paris comme à Rio de Janeiro, à New York, à Londres ou à Moscou, est pleine de créativité. Celle-ci s’exprime surtout, mais pas seulement, à travers quantité de nouvelles formes de culture, d’arts visuels, à travers la musique, la danse… On lit dans ces formes artistiques, le plus souvent, la colère et la révolte, le refus d’une stigmatisation et d’un étiquetage qui n’a pas, sauf dans les médias, une véritable raison d’être. L’art d’ailleurs, dans ses formes nouvelles surtout et à chaque époque, a souvent été une forme d’expression du « contre ». Paris est beau, mais qu’est-ce qui fait la beauté de Paris ? Les hauts lieux seulement ? Et pas également les trottoirs de Paris, les berges de Paris, les ponts de Paris ? Et pourquoi ne pourrait-on pas avoir les mêmes éléments, avec d’autres configurations, dans les banlieues ? PAS À PAS DANS LE GRAND PARISL’étude que nous avons développée n’a pas l’intention de montrer que l’image déposée depuis longtemps sur les banlieues parisiennes et diffusée par les médias est fausse. Ce que nous proposons, c’est une réflexion sur la structure spatiale du Grand Paris ainsi que des visions situées pour certaines parties de la grande métropole. Réflexions et visions sont le résultat d’un travail croisé entre points de vue différents : ceux d’architectes, d’urbanistes et de paysagistes, d’écologues et de géographes, d’ingénieurs hydrauliques, d’historiens, ceux des acteurs locaux et ceux des habitants. Elles se sont d’ailleurs nourries de longues discussions, d’échanges denses et d’un travail de lecture et d’interprétation de trois territoires différents que nous avons explorés ces dernières années. Enfin, elles se sont nourries d’un workshop qui s’est déroulé du 25 mai au 1er juin 2013 à La Courneuve, au Moulin Fayvon, dans un espace que Monte Laster a généreusement mis à notre disposition. De façon plus générale, ces visions et ces réflexions naissent à la fois d’un regard « d’en bas », qui se veut attentif au quotidien des habitants et qui explore les possibilités de l’améliorer, de construire « une métropole pour ses habitants », et d’un regard « d’en haut », qui s’intéresse au vaste territoire de la métropole, à sa topographie et à son hydrographie, aux espaces de la biodiversité et aux espaces bâtis, aux conflits sociaux et aux processus de fabrication de la métropole dans son histoire plus récente. HABITER DES SYSTÈMES MÉTROPOLITAINSSystème est un mot que les urbanistes on beaucoup utilisé, surtout dans les années 1970, lorsqu’on s’est aperçu que « A City is Not a Tree » (Christopher Alexander, 1966), mais un espace où plusieurs relations non linéaires, non décomposables en ensembles indépendants, s’établissent et changent dans le temps. On parle dans ce cas de complexité, et la ville comme le territoire nous présentent à l’évidence des situations et des problèmes complexes qui ne peuvent pas être facilement décomposés. L’effort de plusieurs urbanistes et chercheurs dans le domaine des sciences sociales a été, pendant les années 1970-1990, de « modéliser » ces situations. Contrairement à d’autres domaines scientifiques, les résultats de cet effort ont eu un rôle important dans la compréhension et la conceptualisation des principaux phénomènes urbains et de leurs liaisons réciproques, mais n’ont eu que de très faibles retombées opérationnelles. Les modèles mathématiques proposés impliquaient un nombre trop élevé d’équations et de variables avec des valeurs pas totalement fiables. La solution était pratiquement impossible et la valeur heuristique même de ces modèles était parfois très limitée. C’est la raison pour laquelle on a souvent eu recours, à l’aide d’ordinateurs toujours plus puissants, à des simulations numériques. Nous utiliserons ici le mot système dans une version plus réduite (et réductrice) pour nous référer à des espaces « situés » et fortement thématisés, qui jouent et pourraient jouer un rôle reconnaissable et stratégique, tant d’un point de vue fonctionnel que d’un point de vue symbolique et de celui de la construction d’une nouvelle image de la métropole. Un premier exemple, présenté dans le livre La Ville poreuse (MétisPresses, Genève, 2011), a été produit lors de la consultation de 2008 « Le Grand Pari(s) de l’agglomération parisienne » lorsque nous avons proposé les « traversées vertes », des espaces plurifonctionnels et « complexes » auxquels nous confions le rôle de modifier la forme et la structure spatiale de la métropole : elles construisaient une vision ouverte, mais suffisamment claire dans ses contours, ses objectifs et ses hypothèses, essayant d’éclaircir la signification et la cohérence urbaine et paysagère des transformations en cours et futures. Cela ouvre trois principaux champs de réflexion qui structurent notre étude. UN TERRITOIRE DE CONTINUITÉS ET UNE MÉTROPOLE HORIZONTALELe premier champ concerne l’approche de notre recherche qui, d’un côté, évolue pas à pas dans le Grand Paris d’aujourd’hui, nous amenant à organiser un workshop sur le terrain, à La Courneuve, et qui, d’un autre côté, s’est longuement interrogée sur les modalités de production de l’espace périphérique du Grand Paris, dans sa longue histoire jusqu’à aujourd’hui : comment les différents acteurs et les différentes interventions ont établi dans le passé et pourront établir dans le futur un rapport avec la forme du territoire, ses armatures principales, le bâti et les pratiques existantes ? Le deuxième champ, lui, concerne la prise en compte du concept d’habitabilité par toute action de modification et de transformation. Lorsqu’on imagine un processus de densification progressive de la métropole ou de ses parties, le thème d’un projet urbain qui prend en charge les problèmes de l’énergie et du recyclage ressort comme un thème principal et innovant. Cette réflexion interroge ce qui pourrait se passer si tous les projets en cours se réalisaient : c’est le scénario 0. Par ailleurs, à partir du travail de terrain, de l’expérience des lieux et de la construction de leurs micro-histoires, de la connaissance des contraintes et des risques – hydrauliques comme sonores ou encore dus à la pollution des terrains et de l’air –, qui, à toutes les échelles, doivent être réduits, nous proposons une lecture des lieux en termes de possibilités : la possibilité de transformer les contraintes, les conditions spatiales actuelles, par exemple l’embodied energy (énergie grise), en opportunités pour un nouveau dessin de l’espace métropolitain. Le troisième champ, enfin, est défini par le processus de production de l’espace, le temps de la modification et de la transformation. Mettre en cohérence les séquences de projets et les projets eux-mêmes, en particulier les projets d’infrastructures de la mobilité (le Grand Paris Express surtout), les grandes infrastructures écologiques et les projets de logements ou ceux qui concernent la création de nouvelles centralités, est une nécessité. Il ne s’agit pas que d’une cohérence technique et fonctionnelle, la cohérence financière joue ici un rôle important. Ce champ ouvre la question de la structure spatiale du Grand Paris, celle qui semble se dessiner dans les projets et celle qui nous paraît souhaitable : celle d’un territoire de continuité, une métropole horizontale. Ces trois champs de réflexion organisent des interprétations et des hypothèses de projet sur l’habitabilité des territoires et les cycles de vie qui les traversent. Ces projets ont une origine multiple : d’abord les études dans le territoire de Seine Amont, qui nous ont permis de mieux saisir l’hypothèse de traversée nord-sud déjà formulée dans le cadre de la consultation de 2008 ; puis la connexion est-ouest à la hauteur d’Orly, développée pour l’EPA Orsa, qui pourrait donner de l’épaisseur aux nouvelles relations horizontales entre Saclay, Orly et la Seine ; enfin l’approfondissement de la traversée est-ouest de la banlieue nord du Grand Paris, où nous avons mené une réflexion sur l’habitabilité du territoire le plus stigmatisé de l’agglomération. Dans des workshops de terrain, nous avons développé un rapport plus étroit avec les habitants et les différentes situations. UN STYLE DE RECHERCHELa conclusion de notre étude s’interroge sur le rôle de l’Atelier international du Grand Paris et conclut sur la notion de croissance dans le Grand Paris : de quoi, comment et pour qui ? En effet, la notion de croissance doit être interrogée. Quand on traite les lieux les plus difficiles du Grand Paris notamment, il est nécessaire de se demander, sur la base des expériences des soixante dernières années, de quelle croissance on parle et à qui elle doit bénéficier. L’approche par projet nous paraît essentielle, c’est la seule qui puisse éviter les échecs du passé, mais elle nécessite une connaissance plus fine des situations, une compréhension en profondeur des enjeux spécifiques de chaque territoire, un échange plus structuré avec les acteurs de terrain et les habitants. L’Atelier International du Grand Paris a le grand privilège de pouvoir traiter le Grand Paris comme un objet de recherche, privilège qui permet un regard précieux et inédit. Son travail doit trouver sa légitimation sur le terrain et doit être légitimé par les différentes situations aussi. Des éléments d’une vision ouverte et non moraliste, horizontale et poreuse, peuvent être discutés et s’enrichir à différentes échelles. C’est une grande consultation avec tous les acteurs impliqués qu’il faut faire démarrer. Chacun de ces acteurs proposera son récit. Il n’y a pas un seul récit et le récit n’est jamais neutre. Il est construction de pouvoir. Pour que la réalité ne nous dépasse pas, il faut accepter d’en faire partie. STUDIO 013-BERNARDO SECCHI ET PAOLA VIGANO, Membre du Conseil scientifique de l’Atelier International du Grand Paris
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